
L’État se fait appeler patrie quand il s’apprête à commettre un meurtre
L’État se fait appeler patrie quand les possédants ont peur pour leur fortune et leurs privilèges quand les dépossédés ont faim et se retrouvent à la rue
L’État se fait appeler patrie quand il doit soutenir la croissance augmenter la productivité les cadences les heures de travail quand il faut geler les salaires couper les allocations sociales
L’État se fait appeler patrie quand il embauche plus de policiers installe des caméras de surveillance espionne les conversations fait la chasse au faciès procède à des arrestations arbitraires remplit les prisons pour en construire d’autres isole torture pend empoisonne fusille et électrocute
L’État se fait appeler patrie quand il y a des terres ancestrales à voler des populations à déplacer des réserves et des pensionnats à ouvrir des orphelins à créer des cultures à oblitérer des milieux de vie à empoissonner des espèces à mener jusqu’à l’extinction
L’État se fait appeler patrie quand il recense les indésirables quand il ferme les frontières quand il ouvre des camps et tatoue des avant-bras fait travailler jusqu’à épuisement remplit des fosses communes fait chauffer les fours crématoires
L’État se fait appeler patrie quand il agresse fait la guerre envoie des générations à l’abattoir et exige qu’on meure dans la boue des tranchées dans les villes en ruines bombardées réduites en poussière dans les cratères fumants tapissés de la chair déchiquetée de ceux et celles que nous aimons
L’État se fait appeler patrie quand il cherche notre consentement quand il se soumet au vote au plébiscite quand il nous donne l’illusion d’avoir un mot à dire quand il veut nous convaincre que nous avons des points en commun avec ceux qui nous agressent nous oppriment nous affament et nous écrasent contre terre
L’État se fait appeler patrie quand il exige de nous des sacrifices que jamais nous n’accepterions pour aucune autre raison que celle de l’amour de la patrie – mais cet amour n’est rien d’autre que haine de soi-même de nos semblables et de notre propre humanité
Salut au drapeau ! À toi mon mépris, mon dégoût, ma haine. Tes couleurs sont celles de la stupidité, de l’abjection et du crime. Tu flottes dans des relents de merde, de sang et de mort. Chaque pavoisement est une menace, chaque hissage est une intimidation, ta présence annonce avec pompe et décorum l’horreur et la terreur que tu as la mission d’entretenir, de cautionner et de perpétuer. Salut au drapeau ! Si je ne te foule pas aux pieds, c’est seulement parce que cela souillerait mes bottes. Si je ne te conchie pas, c’est parce que tu tacherais la raie de mon cul. Puisse un jour que ton ombre cesse d’obscurcir nos vies ; puisse un jour que tu ne sois plus qu’un mauvais souvenir, l’erreur de nos aïeux.








