Mme A.A. l’Antiphilosophe est d’humeur guillerette

Cher journal,

Je suis si fatiguée que l’espace et le temps se replient sur moi. Je fais même dévier la lumière et rien ne m’échappe. On m’a gravé au front le mot « zolpidem » avec un scalpel, mais ça ne change rien à la situation socio-politique de mes organes. J’ai les pieds nus pris dans des blocs de glace livrés gratuitement à mon domicile pendant la période d’essai, toutes ces commandites me font mal aux os. Les rues sont remplies de colères vertes et de chandelles de gras de nouveau-né, le cataclysme est à nos portes et se convaincre du contraire est devenu un art du cirque. On m’a donné l’assurance que tout ne tenait qu’à un fil blanc qu’on m’a chargée de coudre moi-même pour ma propre paix d’esprit. Tout se contracte autour de moi, l’univers devient une boucle sombre qui s’affaisse et libère une radiation invisible de couleur bleue, parfumée comme un bleu d’auvergne.

L’anxiété est protéiforme, c’est un passe-temps passionnant qui me fait perdre tous mes moyens et me groster les plaies de valines quand le vocabulaire m’échappe et que je suis hurmandée dans mon lit, la pénombre squandise me hrulondant jestrol brunk vlaind roujde rojde roujde rojde roujde rojde ma pensée se brise quand frogou hlap mia menso estas malsana mi mortos por mil jaroj da fandita plumbo klori grujoj fantaue storpinant l’horizon est une réglisse et je ne m’attends à rien en particulier.

Bonne nouvelle : les bourgeois n’a plus de corde à vendre, il faudra trouver d’autres syllogismes pour les pendre devant leurs refuges secrets au sommet des montagnes.

L’œil fondant chagrin emmuré

J’ai l’impression des jambes affligeantes dans la ville.

J’ai fait le serment d’aller nulle part
Donc je partirai sur-le-champ
Ou alors vaguement du côté de la montagne

Évidemment pour toujours je ne serai plus ici

Dans les prisons le sang de tête
Tache les murs et leurs bouches grinçantes
Les caresses ont les ailleurs rugueux

Demain m’attend avec un couteau

Un couteau coulant, un couteau d’épiderme
Un couteau dans mon verre méningiome
Pour boire le dernier mot et liquider l’inventaire

Demain l’induction incalculable

Les lèvres d’axiomes n’ont plus de volonté
C’est une constatation gastrique
Le couteau c’est demain le poing levé au coin des dents

Les pierres demandent le coup de grâce

Les pierres de taille au fond des ruines
Qui souhaitent n’avoir jamais eu de forme
Autour des herbes méprisantes de l’érosion

Par le destin si lourd, chez tous mes démons invivables

Qui veut encore voyager alors qu’ailleurs
Est rigoureusement identique à ce qu’on trouve
Sous les coussin de ma causeuse

Mme A.A. l’Antiphilosophe reçoit une lettre

Cher journal,

J’ai recouvert tout mon corps de minuscules points verts dessinés avec un feutre à encre indélébile Sharpie à pointe fine pour me rendre éligible à une subvention du Conseil des arts et des lettres. Le poison a traversé ma peau par osmose et circule dans mes veines comme un désir de vengeance doublé d’une urgence de frotter toutes mes muqueuses avec de la cendre jusqu’à ce que la pâmoison me fasse chavirer dans un sommeil sans rêve. Dans ma lettre de refus, un fonctionnaire isotopique me suggère de m’entêter à produire des œuvres plutôt que d’admettre que toute littérature est fumisterie et que tout art est trahison. Il ne sait pas que tout n’est plus que redite et répétition, il ne sait pas qu’il n’est plus possible de maquiller le vide pour le faire passer pour de la moelle et le vendre à prix d’or à des clients inexistants, il ne sait pas que la représentation n’a plus de valeur que dans l’inflation des crânes de ceux qui nous affament. J’ai donc pris ma peau malade et je me suis rendue à la buanderie où l’essorage des vestiges de volonté de vivre coûte maintenant six dollars, à cause de l’inflation et de l’abandon de toute prétention démocratique.

Je suis ma propre mécène et donc mon propre bourreau; mon garde-manger est vide, il ne me reste que des miettes de pain que je dévore, pigeon enragé à l’intestin grugé par les vers et la nécrose de mes idéaux. Je voudrais bien voler de la dynamite, mais tous les chantiers de construction sont dans les beaux quartiers et les autobus s’y rendent infréquemment. Je voudrais bien faire rôtir un bourgeois, mais ils m’assurent tous qu’ils n’existent pas, que nous sommes tous égaux, que nous formons tous une grande famille et que les gens qui veulent m’exterminer appartiennent à une catégorie fantomatique. Mon aliénation existe, mais elle n’est causée par aucune personne identifiable, elle est un fait naturel comme la pluie, l’orthographe et les condylomes; voilà pourquoi on m’enjoint à diriger ma haine contre mes camarades d’infortune qui eux, ont le malheur d’être observables à l’œil nu. Tous ces gens qui ne sont pas comme moi pourraient venir manger la pomme pourrie qu’il me reste dans mon frigo. Je pense qu’on se fie un peu trop sur mon angoisse de possédante pour maintenir l’intégrité du monde.

J’ai des adjectifs et je les affûte chaque jour pour qu’ils soient bien coupants. Pour l’instant, je m’en sers pour me raser les jambes, mais quand il fera trop chaud, quand il fera trop soif, il n’est pas exclu que je m’en serve pour attenter à la sureté de l’esprit et de la marchandise par poste restante. En attendant, je suce des cailloux et espère que l’ascèse soit bonne pour le teint. Chaque fois que j’en mets un dans ma bouche, c’est une dent qui en ressort. C’est le miracle de la naissance.

Mme A.A. l’Antiphilosophe déménage

Cher journal,

J’ai déniché un superbe appartement avec une seule chambre à coucher traversé par le train qui transporte les immigrants aux dents de plâtre. J’ai trouvé une bille d’uranium dans mon urètre, c’est un signe de la fin des temps. Depuis mon balcon, j’ai vu les oies luminescentes traverser le ciel obscurci par l’haleine des voisins. Les soupçons entretenus par les mégères de papier ne résistent guère à l’acide sexuel qui coule de ma bouche déflorée. Mon propriétaire ignare court plus vite que l’horloge atomique sans bretelles qui siège au Vatican. La dame des objets perdus a été retrouvée épinglée sur le mur de son bureau, la matrice retournée comme un gant et sur le visage l’expression figée et béate de celle qui a rempli tous les formulaires. Il n’y a plus de cabines téléphoniques, il n’y a plus d’endroits pour contacter les courtisanes transversales lorsque la lune de gruau glisse sur mon sexe irrité.

La ritournelle minuscule est une valve caillée sur les fibres végétaux de mon cœur. La nièce de Satan s’est inscrite aux cours du soir ; elle travaille comme téléphoniste à la compagnie de chaussures qui emploie des enfants dans son usine souterraine. Savoir conjuguer le verbe falloir à la première personne du singulier n’est pas donné à tout le monde. En fait, il n’y a que les livreurs anthropophages employés par Über qui ont des doigts assez liquides pour imbiber suffisamment la grammaire et ainsi accomplir un tel exploit. La charrette des lépreux a des roues de roquefort et laisse des traces vertes sur le tapis floral de ma salle de bain.

J’ai reçu de la visite pour la première fois dans mon nouvel appartement. Elle s’appelle Désarroi et elle est caustique et tranchante comme une épine de métal sur le front du Christ postindustriel. Entre mon lit et la cuisine se trouve le crématoire ; il y flotte une odeur cauchemardesque de yogourt allégé à la banane. La porte fait un tel boucan en ouvrant qu’on croirait entendre sainte Thérèse d’Avila sodomiser depuis l’enfer les élus avec sa verge bardée de clous purulents. Je me console en me disant que le loyer est à peu près raisonnable.

Mme A.A. l’Antiphilosophe embaume le chignon d’Emma Goldman

Cher journal,

Le ciel est bas ce soir et l’air laiteux comme ma peau ne le sera jamais. La ville a des tendons, je baigne dans sa lymphe, mirage opaque de métal. On me siffle, je n’ai plus de cils, les garçons qui jouent à la pelote dans les ruelles me bouffent le cœur. Les murs sont maculés de slogans lycanthropes, chaque flic comme une star de Hollywood me déteste. Près du square, je vois la fillette ductile du quatrième, motorisée comme une huître eidétique. Elle largue ses bombes capillaires sur l’épicier spongieux transpercé de mille couteaux.

La vitrine me renvoie le reflet de mille Anne Archet fracturées fondantes sous l’acide du temps qui me répètent : « Je suis presque morte, je suis si amoureuse mais pourtant tellement mourante, je suis une femme et je fais ce que je crois que les femmes font lorsqu’elles disparaissent. »

Ne versez pas l’eau des siècles sur ma joue.

Mme A.A. l’Antiphilosophe nous explique la gnoséologie de la perte blanche

Cher journal,

Dans mon lit ce matin dormait près de moi Stenka Razine. Sa barque était sombre et brutale ; il m’a jetée par dessus bord pour prouver à ses cosaques que son âme restait grande et loyale. Ma fente de cuir suintait l’eau de rose comme une icône miraculée mais il n’y avait personne à abreuver sur les rives du Don. Je flottais, algue apostasiée entre les eaux tièdes et obscures des pensées communes. Des cheveux et des sexes frôlant ma joue, me forçant à avaler, désemparée, ce liquide épais et astringent. Heureusement, je fus sauvée par cette femme nue à la peau bleue, portant les stigmates sur sa langue, ses pieds, son flanc et ses innombrables mains. Elle n’a toujours pas quitté mes bras, ses cris creusent sur mes tempes des sillons qui se rejoignent pour former un alphabet impur.

J’ai la lèvre inférieure tuméfiée et l’ironie terrifiée. 

Mme A.A. l’Antiphilosophe nous écrit

L’avant-garde n’existe pas, l’arrière-garde est une blague, la contre-culture n’est qu’une culture en attente que son gros cul soit couronné de lauriers pour venir chier son étron hiératique sur nos têtes. Tout a tellement de valeur, tout est tellement utile que j’en suis malade. La jeune femme va hacher les gendarmes à dos de chameau et répond avec son parfum aux pâtes cuites qui l’interrogent par cadavre interposé. Du tatol des mototans réaprénstonnent et chacacun un mantannot qui en rosiasant de l’ailptliopacân de doute-être calmeromice, au sens du pagaraphrare désime par le cubtroalbuine ou par une apatiolcipanne ditosse de penroness, au canat-bouilloire. Jamais entre les repas.

Tout ce que j’écris n’a aucune valeur il n’y a rien à en tirer ça ne rapporte rien à personne ça ne profite à personne c’est d’une nullité parfaite et splendide sans intérêt sans aucune aspérité personne ne peut y accrocher quoi que ce soit crédit offert details en magasin jusqu’à épuisement des stocks nous nous réservons le droit de limiter les quantités pour insérer la pièce A sur l’orifice C de la planche F je n’ai pas remis mon formulaire p étant un entier qui indique le nombre de dimensions spatiales de l’objet en question que des D1, D3, D5 et D7 branes peuvent être incorporées dans un espace-cible une symétrie non perturbative de la théorie IIB, S-dualité. Que l’avant-garde et la contre-culture aillent se faire chatouiller les hémorroïdes, moi je suis hors-la-garde et anti-culture je réduis tout en rondelles, en menu morceaux tout petits petite petits assez minuscules pour que mon ratage soit grandiose et gigantesque.

Le militant perd son portefeuille au camping, c’est un partenariat et une cible lunaire valise à marier ouverte et uniforme dans le sens sympathique et la coercition qui nuit au flamenco des quatre fesses garanties de photographies perpendiculaires, mais l’arbitre du maquillage censure le juge au bastion de l’alimentation et la betterave lobotomisée tient en otage le jus de coercition des flotteurs grâce au pneus suspects et à la turbulence du sang dans l’ensemble prononcé d’une clinique de poing dans le ciment et le bronze optionnel aussi sexy que criminel, restent les lignes à transborder minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou minou.

À la soupe.

Mme A.A. l’Antiphilosophe nous démontre que huit moins six font deux

Cher journal,

J’en ai fini de retenir mon souffle parce que la peur a changé de camp Camarades c’est au peuple de saisir la géographie suicidaire que les femmes bien nées cuisent dans un wok bitumineux LA PEUR A CHANGÉ DE CAMP à cheval sur le fil du couteau coïtal ma mère expulse de sa matrice des charcuteries familiales qu’il faut baptiser avec un bidon d’essence et une allumette un gâteau creux qui contient des jambes tronçonnées gainées de soie kretzmuque foutus astérisques gravés au fer rouge sur mon clitoris fromager que j’exhibe devant la classe voilà mon flux menstruel livré pour vous LA PEUR A CHANGÉ DE CAMP sauce à l’ail une pharmacienne anthropophage cachée dans les replis du prépuce institutionnel d’Ernest Cormier glavragique finanstère chestante le poltron d’épice souffre de désordre épilatoire LA PEUR A CHANGÉ DE CAMP dans la rue les femmes sont debout ivres de désespoir — mais pourtant debout leur salive est corrosive elle dissout les statues deux minutes avant la nuit.

Mme A.A. l’Antiphilosophe interprète le Prélude à l’après-midi d’un faux

Cher journal,

Dans une chambre de six mètres carrés, je dors sur un lit de goblets en carton ciré. Des chrysanthèmes poussent sur mes paupières closes, leurs racines courent de mes yeux à mon clitoris. Couchée sur le dos, je résilie mon abonnement à la vie grâce aux ondes sympathiques qui se diffusent dans mon bidet. J’ai l’arme facile et la larme à la main, des coléoptères de bronze sous les ongles et l’envie de dissoudre mes pensées dans le fleuve du néant. Quand le sultan viendra me rendre visite, habillé d’une couche d’incontinence, d’un faux nez et d’un tuba. je serai prête à lui faire du bout des doigts les quarante signes secrets qui invoqueront Orobas et ses hordes de notaires ailés. Je lui demanderai de devenir impératrice du Siam et il lira mon avenir en m’éventrant et en mastiquent mes viscères. En attendant, je verse mes acomptes provisionnels et je me nourris de punaises de lit, comme le recommande le Talmud.

Mme A.A. l’Antiphilosophe nous a soumis une cacographie sous ordonnance

Cher journal,

La glace est mince et j’entends le bruit sourd des craquements quand passent les morts près de la lumière verte des pronoms conjonctifs. Ce qui se trouve sous mes pas n’est pas l’apaisement des sens et la félicité de l’âme, mais bien la suie des garages et l’isthme de l’alimentation famélique. Nartex de l’église immobilière, les échanges pétrifiés sont sans sel, sans signes, comme l’huile disloquée sous un sourire minéral. Ô piètre sucs de jouvence, vos scie à chairs couvrent le chant des méduses. Je suis jaune et partout m’accompagne cette odeur de formol — moi qui n’embrasse que ce qui est long et dur et fuyant comme un liquide organique coulant d’un erlenmeyer sur les pages d’un rapport trimestriel.