Mme A.A., l’Antiphilosophe chevauche le fromage métaphysique comme une vélocipédiste athée

Cher journal,

Le chef des rats prémonitoires m’accuse de vacuité mentale, je n’ai pourtant rien fait pour mériter cet honneur. Je ne voterai quand même pas pour lui, j’ai la trahison tatouée sur le cuir chevelu. Petit sexe, plérome, pâmoison, les acronymes sont transparents et pourtant, la nuit s’écoule de mes pupilles à mon sexe comme la pâte lumineuse des prophètes. Il n’y a que la colère et elle n’est hélas pas suffisante, l’or des mamelles se plie devant la monnaie écarlate des photos funéraires. Le fil est long, épais et entouré de nickel expansif, il se trouve entre mes dents et mes ambitions littéraires. Je vais vous aider à compter: un foie, sept caprices, vingt follicules, trois fermentations et des dizaines de tracteurs mentaux sur l’ongle de mes défaites orphelines. Je sais jouer du cyclope, je scie son larynx jusqu’à l’obtention d’une mélopée cartésienne pour spatules fantoches. Je suis fumiste, je ne sera à rien et la nation n’a que faire de mes charcuteries alors laissez-moi tranquille avec vos émotions comptables, vos urnes de félicité, ma voix ne porte pas plus loin que le havre de la pureté. Le prochain rongeur qui vient me débiter des rhétoriques hirsutes, je l’amène à l’hôtel et lui montre de quel coma je me réchauffe.

Ma fenêtre a fondu, il fait si froid que les sons tombent sur le parquet et éclatent comme des flûtes à champagne qu’on jette pour célébrer la victoire finale des envols stellaires. Je me suis réfugiée dans la douche, elle est remplie de briques et de pierres. Par le bout du robinet, je vois les anges de papier qui chantent pour nous prévenir que la gauche s’allie aux libéraux pour défendre les institutions politiques et que les fascistes en profitent pour se présenter comme la seule véritable alternative au statu quo. Je ne contiens plus ma colère et mon désarroi, le cadmium et le syllogisme fait partie de mon petit déjeuner équilibré, j’entends marcher les uniformes dans une rue déjà perdue. Pendant ce temps, on discute dans les salons de la couleur des bottes qui s’apprêtent à écraser nos duodénums.

Le fromage me dit que les fascistes ne sont pas simplement les instruments de la classe dirigeante, la raie de leur cul est beaucoup trop poisseuse pour s’évaporer dans le bitume. Les rats accomplis peuvent former une force autonome qui s’oppose comme un fer moelleux au capitalisme mondial et épicé pour le remplacer par un système radicalement différent et probablement plus douloureux pour l’appareil génital externe. Les voix dans le corridor murmurent, elles n’ont pas de bras mais gesticulent que la plus grande menace du fascisme montant réside dans sa capacité à exploiter les griefs populaires pour détourner les damnés de leur marche zigzagante vers un monde sans charniers. Beaucoup de courges métonymiques méritent d’être défoncées, si tout cela s’avère exact. Un camion et trois pousses de bambou, ma rotules chantent au festival des mises à pied, je vais devoir affronter à la fois l’ordre établi et des fascistes insurgés qui sont en conflit les uns avec les autres.

Autrement, ça va, mes jarrets applaudissent et j’ai le fruit qui cligne de l’œil.

Mme A.A., l’Antiphilosophe, est intoxiquée par l’urgence

Cher journal,

J’en ai fini avec le monde, mon compte Twitter a fondu c’est maintenant une pâte visqueuse et gluante que je ramasse avec une cuillère fiscale hérité de mes aïeux consanguins. Je pars pour les îles Andaman avec ma trottinette, mon stérilet hormonal et l’équivalent de dix dollars en roubles soviétiques non convertibles. J’irai faire corps avec mes sœurs, ces fleurs vénéneuses, ces héroïnes qui empoisonnent sans tuer et qui font de cette terrible existence une longue marche claudicante à travers les étoiles éteintes. Il est tard, si tard, je suis intoxiquée par l’urgence.

Comme la plupart de mes contemporain·es, je n’aurai pas la chance de faire la révolution, de créer un monde fait pour la vie et non pour le profit et le pouvoir. Nous avons eu une véritable occasion de changer la vie il y a un siècle et nous l’avons gâchée en construisant des autels à Moloch. Quand je dis « nous », je parle de ces humains dont la peur de l’inconnu les a métamorphosé anthropophages, ces hommes et ces femmes qui ont confiné notre espèce à l’éternel retour du même, sans comprendre que ce « même » est une machine à éviscérer et à broyer les os. Il est tard, si tard, je suis intoxiquée par l’urgence et je ne vois autour de moi que des inquiétudes frénétiques prêtes à vendre leur corps au premier drapeau venu.

J’ai bâti mon radeau avec des tracts périmés et des manifestes illisibles. Le vent me pousse et je crie vers vous. L’État nous ment, ses promesses sont en styromousse. Les politiciens progressistes, les chefs charismatiques, le socialisme électoral, les sectes léninistes ont recommencé à proliférer, elle grouillent sous chaque pierre que je soulève pour construire mon abri. L’État est une machine à contrôler et à exploiter, il n’a pas d’autre fonction – pas plus qu’un séchoir à linge peut servir à cultiver des fraises ou cuisiner un cheeseburger. Nos soulèvements mènent toujours au néant et, au bord du vortex, nous nous tournons, épuisé·es, vers l’entité toute-puissante, un État qui résoudrait les problèmes à notre place. Et tout ce que ce Dieu demande en retour, c’est de renoncer à notre mémoire et à notre pouvoir.

C’est la pire erreur du vingtième siècle et nous la portons encore sur notre dos. Les promesses ont perdu leur goût de miel, elles ne font que pendouiller devant notre nez comme des fruits blets et vénéneux. Il est tard, si tard, je suis intoxiquée par l’urgence et pourtant, je me laisse dériver dans un courant génocidaire comme un ventilateur dans la mélasse. On tue en mon nom et on me dit que c’est pour mon bien, on m’arrache les ongles en me disant que c’est ce qu’il faut pour que la civilisation triomphe. Je regarde les massacres de loin, à travers un kaléidoscope, en attendant que ce soit mon tour d’être sacrifiée pour que tout reste inchangé.

Notre attente nous tue, elle nous empêche de comprendre qu’il est tard, si tard, que nous sommes intoxiqué·es par l’urgence et que les choix que nous faisons reproduisent la pire erreur du vingtième siècle. Le barres d’or sont tachées de sang et nous continuons de les embrasser comme si le temps n’avait plus cours, dans notre amnésie et notre impuissance volontairement offerte aux tumeurs des rêveurs et rêveuses qui ont péri avant nous.

Mme A.A., l’Antiphilosophe décortique l’actualité pour nous


Un nazi
Un fasciste
Un autre nazi
Un autre fasciste
Un nazi qui jadis était fasciste
Un fasciste en voie de devenir nazi
Un nazi qui ne fait que poser des questions
Un fasciste qui préserve sa virginité pour la nation
Un nazi qui trouve qu’on brime sa liberté de brimer celle des autres
Un fasciste qui vous traite de parasite et de cancrelat et exige de débattre avec vous, un nazi qui trouve qu’on n’a plus le droit de rien dire, deux fascistes discutant avec autant de nazis de la meilleure façon d’être nazi tout en restant fasciste, un nazi qui brûle de désir de montrer à tout le monde qu’il est nazi, mais qui pour le moment se contente de dire qu’il n’est pas fasciste, un fasciste qui partage de la haine pas drôle du tout en appelant ça de l’humour, un nazi qui voudrait bien vous exterminer, un fasciste qui se contenterait de vous déporter, deux nazis le long d’un mur discutant de santé de la prostate, quatre fascistes qui n’ont pas dit une seule vérité en public depuis seize mois, un nazi qui fait semblant de ne pas avoir peur de finir un jour une balle dans la tête ou pendu la tête en bas, un fasciste avec une coiffure de fasciste et une sale gueule de fasciste, trois nazis qui entrent au gouvernement en promettant d’être mesurément nazis, cinq fascistes qui vous assurent qu’ils sont des adultes responsables qui sauront tempérer les ardeurs des nazis, six nazis qui proposent de protéger les femmes en les réduisant au rang d’esclaves, un fasciste qui exige que vous l’écoutiez vous insulter, un nazi qui demande à ce que vous fassiez l’effort de comprendre les fascistes, un fasciste qui porte un chouette costume Armani, un nazi qui invoque la science pour justifier sa haine, un fasciste qui vous explique que ce sont les islamo-gauchistes qui l’ont rendu fasciste, un nazi qui demande sur Instagram comment enlever le sang sur les bottes de cuir, treize fascistes qui envisagent de former une équipe de water-polo, treize nazis qui préfèrent la course au pas d’oie, quatre fascistes qui mangent des saucisses pour souligner l’anniversaire de kristalnacht, un nazi qui croit qu’au pays des fascistes les nazis sont rois, dix fascistes qui tirent à la courte paille qui sera mangé, un nazi qui prend sa serpe et part aux bois, un fasciste avec une pomme d’api et un petit tapis rouge, un nazi vert qui court dans l’herbe on l’attrape par la queue et on le montre à ces messieurs qui nous disent de le tremper dans l’huile et dans l’eau ça fera un escargot tout chaud
Un nazi qui vous accuse de traiter de nazi tous les nazis que vous n’aimez pas
Un fasciste qui trouve que vous exagérez en voyant des fascistes partout
Un nazi qui dit que les vrais fascistes sont de gauche
Un fasciste qui vous accuse d’être nazi
Un nazi à l’heure de grande écoute
Un fasciste raisonnable
Un nazi modéré
Un fasciste
Un nazi

Journal d’une migraineuse


MARDI : J’ai pompé le vingt-quatrième évêque, quatorzième archevêque et septième cardinal de Québec.

DIMANCHE : J’ai rincé ma bouche avec de l’eau bénite à saveur de menthe poivrée.

LUNDI : J’ai rangé mes serviettes hygiéniques dans le tiroir en chantant l’Air des bijoux du Faust de Gounod.

VENDREDI : J’ai conjugué verbe « gésir » au passé antérieur.

MERCREDI : J’ai joué à la cachette avec un lingam de vitrocéramique.

MARDI : J’ai limé mes ongles et brossé ma chatte. Pas l’inverse.

VENDREDI : J’ai organisé ma matinée en suivant l’ordre alphabétique : café, coiffure, croissant, cunnilingus.

MARDI : J’ai rempli des formulaires pour immigrer avec ma gynécologue au Swaziland.

DIMANCHE : J’ai un agenda caché et un journal intime à la vue de tous.

SAMEDI : J’ai fait de l’origami avec les lettres de mise en demeure.

LUNDI : J’ai compris qu’un homme sans un poisson est comme une femme sans une valise.

VENDREDI : J’ai cherché l’endroit approprié pour me greffer un foie d’appoint.

DIMANCHE : J’ai enseigné le sanskrit aux amibes du voisinage.

MERCREDI : Je lui ai écrasé le paquet sur le parquet et j’ai assis des marmots sur le marmoleum.

LUNDI : J’ai prpaciitié à un tuonroi de Sarclbbe et j’ai reomprté la cupoe.

DIMANCHE : J’ai joué à la roulette russe avec des yaourts sans étiquette dont j’ignore la date de péremption.

SAMEDI : J’ai essayé de retrouver la clé de ma ceinture de chasteté.

MERCREDI : Je suis allée à la pharmacie m’acheter de la crème vaginale contre le tétanos.

LUNDI : J’ai contemplé le maelström sans fin de la vacuité existentielle du sujet postmoderne en grignotant des bretzels à l’état gazeux.

MARDI : J’ai dit «déposer le Tsar» au lieu de «reposer le store» et mon homme à tout faire a adhéré au parti social-démocrate de Russie.

VENDREDI : J’ai rêvé qu’une subordonnée conjonctive m’agressait avec ses crocs acérés.

LUNDI : J’ai vu « Les Charlots font de la fission nucléaire » à la cinémathèque, en programme double avec « Les bronzés développent un mélanome ».

Mme A.A., l’Antiphilosophe transpire sous ses seins

Cher journal,

TE GRI RO RO GRI TI GLODA SISI DÜL FEJIN IRI il fait trop chaud pour conduire un citron à la guillotine. J’ai un rapport en triplicata à vous présenter, il concerne la sûreté de l’esprit et l’accord du participe passé en temps de canicule d’apocalypse. Persiennes ? Persiennes. PERSIENNES ? Hier, les particules en suspension dans l’air m’ont obligée à ouvrir le hublot du sous-marin. Je m’attendais à être submergée, mais l’eau n’existe plus, elle s’est transformée dans les pôles en limonade. KOLA RIMOU HA RERE KELO ROUMI HI RARA tout n’est que poudre, poussière et sueur grasse sublimée par les poils de mes dents, je tousse si fort que des créature grotesques naissent de la glaire que j’expulse dans un tonnerre de cris d’angoisse. Elles se mettent à ramper dans ma chambre et me supplient de les achever, la vie est devenue insupportable même pour les parasites cérébraux que m’ont transmis les actionnaires de la quatrième révolution industrielle. LA PLUS BELLE DÉCOUVERTE DE L’HUMANITÉ EST LE BICARBONATE DE SOUDE la sueur sous mes seins m’abandonne elle s’est inscrite en littérature comparée à l’université je vais voter pour elle voter voter voter pour ELLE dans la circonscription de Géhenne-Sud. En résumé, le temps est devenu fou, j’ai beau marcher à reculons, il ne me prendra pas par en arrière BAUBO SBUGI NINGA GLOFFA même s’il y a des têtes qui méritent d’être tranchées, ne décapitons pas les bourgeois, ce serait leur faire une faveur – forçons-les plutôt à habiter les taudis qu’ils nous louent au prix de notre sang.

Mme A.A., l’Antiphilosophe se brosse les dents

Cher journal,

Nous vivons à une époque où ouvrir la bouche est un geste de plus en plus dangereux, alors j’ai entrepris de passer par un autre orifice pour prendre soin de mes dents – et ainsi éviter de me faire doxxer par quelqu’un qui préférerait que je disparaisse de la surface du globe. Les narines semblaient à priori la meilleure alternative, mais j’ai les sinus fragilisés par des années d’exposition aux vapeurs toxiques dégagées par la peinture au plomb qui couvre les murs de mon taudis. Mes canaux auditifs sont aussi à exclure parce que je ne peux pas me séparer ne serait-ce qu’une seule seconde de mes écouteurs sans fil, car ils sont la seule barrière qui me protège des agressions de ce qu’on ose encore (outrageusement) qualifier de « vraie vie ».

J’ai donc décidé d’aborder le tube digestif par son autre extrémité en enfonçant par voie anale une sonde de neuf mètres de long dont le bout est muni de poils imbibés de fluore. Alors que l’outil progressait lentement dans mes entrailles, j’ai eu la révélation mystique de la nature maléfique du monde dans lequel je vis. Une voix étrange retentit dans mes tripes, qui entre deux gargouillements me dit de façon très distincte: « PRISON DE FER NOIR ». Cela m’a évidemment très rassurée, parce que j’étais jusque là convaincue être prisonnière depuis ma naissance d’un aquarium dont l’eau est irrémédiablement corrompue.

Je pus ensuite polir à loisir mes moignons d’ivoire cariés avec le sentiment rassurant d’avoir enfin trouvé ma place dans l’univers.

Mme A.A. l’Antiphilosophe est d’humeur guillerette

Cher journal,

Je suis si fatiguée que l’espace et le temps se replient sur moi. Je fais même dévier la lumière et rien ne m’échappe. On m’a gravé au front le mot « zolpidem » avec un scalpel, mais ça ne change rien à la situation socio-politique de mes organes. J’ai les pieds nus pris dans des blocs de glace livrés gratuitement à mon domicile pendant la période d’essai, toutes ces commandites me font mal aux os. Les rues sont remplies de colères vertes et de chandelles de gras de nouveau-né, le cataclysme est à nos portes et se convaincre du contraire est devenu un art du cirque. On m’a donné l’assurance que tout ne tenait qu’à un fil blanc qu’on m’a chargée de coudre moi-même pour ma propre paix d’esprit. Tout se contracte autour de moi, l’univers devient une boucle sombre qui s’affaisse et libère une radiation invisible de couleur bleue, parfumée comme un bleu d’auvergne.

L’anxiété est protéiforme, c’est un passe-temps passionnant qui me fait perdre tous mes moyens et me groster les plaies de valines quand le vocabulaire m’échappe et que je suis hurmandée dans mon lit, la pénombre squandise me hrulondant jestrol brunk vlaind roujde rojde roujde rojde roujde rojde ma pensée se brise quand frogou hlap mia menso estas malsana mi mortos por mil jaroj da fandita plumbo klori grujoj fantaue storpinant l’horizon est une réglisse et je ne m’attends à rien en particulier.

Bonne nouvelle : les bourgeois n’a plus de corde à vendre, il faudra trouver d’autres syllogismes pour les pendre devant leurs refuges secrets au sommet des montagnes.

L’œil fondant chagrin emmuré

J’ai l’impression des jambes affligeantes dans la ville.

J’ai fait le serment d’aller nulle part
Donc je partirai sur-le-champ
Ou alors vaguement du côté de la montagne

Évidemment pour toujours je ne serai plus ici

Dans les prisons le sang de tête
Tache les murs et leurs bouches grinçantes
Les caresses ont les ailleurs rugueux

Demain m’attend avec un couteau

Un couteau coulant, un couteau d’épiderme
Un couteau dans mon verre méningiome
Pour boire le dernier mot et liquider l’inventaire

Demain l’induction incalculable

Les lèvres d’axiomes n’ont plus de volonté
C’est une constatation gastrique
Le couteau c’est demain le poing levé au coin des dents

Les pierres demandent le coup de grâce

Les pierres de taille au fond des ruines
Qui souhaitent n’avoir jamais eu de forme
Autour des herbes méprisantes de l’érosion

Par le destin si lourd, chez tous mes démons invivables

Qui veut encore voyager alors qu’ailleurs
Est rigoureusement identique à ce qu’on trouve
Sous les coussin de ma causeuse

Mme A.A. l’Antiphilosophe reçoit une lettre

Cher journal,

J’ai recouvert tout mon corps de minuscules points verts dessinés avec un feutre à encre indélébile Sharpie à pointe fine pour me rendre éligible à une subvention du Conseil des arts et des lettres. Le poison a traversé ma peau par osmose et circule dans mes veines comme un désir de vengeance doublé d’une urgence de frotter toutes mes muqueuses avec de la cendre jusqu’à ce que la pâmoison me fasse chavirer dans un sommeil sans rêve. Dans ma lettre de refus, un fonctionnaire isotopique me suggère de m’entêter à produire des œuvres plutôt que d’admettre que toute littérature est fumisterie et que tout art est trahison. Il ne sait pas que tout n’est plus que redite et répétition, il ne sait pas qu’il n’est plus possible de maquiller le vide pour le faire passer pour de la moelle et le vendre à prix d’or à des clients inexistants, il ne sait pas que la représentation n’a plus de valeur que dans l’inflation des crânes de ceux qui nous affament. J’ai donc pris ma peau malade et je me suis rendue à la buanderie où l’essorage des vestiges de volonté de vivre coûte maintenant six dollars, à cause de l’inflation et de l’abandon de toute prétention démocratique.

Je suis ma propre mécène et donc mon propre bourreau; mon garde-manger est vide, il ne me reste que des miettes de pain que je dévore, pigeon enragé à l’intestin grugé par les vers et la nécrose de mes idéaux. Je voudrais bien voler de la dynamite, mais tous les chantiers de construction sont dans les beaux quartiers et les autobus s’y rendent infréquemment. Je voudrais bien faire rôtir un bourgeois, mais ils m’assurent tous qu’ils n’existent pas, que nous sommes tous égaux, que nous formons tous une grande famille et que les gens qui veulent m’exterminer appartiennent à une catégorie fantomatique. Mon aliénation existe, mais elle n’est causée par aucune personne identifiable, elle est un fait naturel comme la pluie, l’orthographe et les condylomes; voilà pourquoi on m’enjoint à diriger ma haine contre mes camarades d’infortune qui eux, ont le malheur d’être observables à l’œil nu. Tous ces gens qui ne sont pas comme moi pourraient venir manger la pomme pourrie qu’il me reste dans mon frigo. Je pense qu’on se fie un peu trop sur mon angoisse de possédante pour maintenir l’intégrité du monde.

J’ai des adjectifs et je les affûte chaque jour pour qu’ils soient bien coupants. Pour l’instant, je m’en sers pour me raser les jambes, mais quand il fera trop chaud, quand il fera trop soif, il n’est pas exclu que je m’en serve pour attenter à la sureté de l’esprit et de la marchandise par poste restante. En attendant, je suce des cailloux et espère que l’ascèse soit bonne pour le teint. Chaque fois que j’en mets un dans ma bouche, c’est une dent qui en ressort. C’est le miracle de la naissance.

Mme A.A. l’Antiphilosophe déménage

Cher journal,

J’ai déniché un superbe appartement avec une seule chambre à coucher traversé par le train qui transporte les immigrants aux dents de plâtre. J’ai trouvé une bille d’uranium dans mon urètre, c’est un signe de la fin des temps. Depuis mon balcon, j’ai vu les oies luminescentes traverser le ciel obscurci par l’haleine des voisins. Les soupçons entretenus par les mégères de papier ne résistent guère à l’acide sexuel qui coule de ma bouche déflorée. Mon propriétaire ignare court plus vite que l’horloge atomique sans bretelles qui siège au Vatican. La dame des objets perdus a été retrouvée épinglée sur le mur de son bureau, la matrice retournée comme un gant et sur le visage l’expression figée et béate de celle qui a rempli tous les formulaires. Il n’y a plus de cabines téléphoniques, il n’y a plus d’endroits pour contacter les courtisanes transversales lorsque la lune de gruau glisse sur mon sexe irrité.

La ritournelle minuscule est une valve caillée sur les fibres végétaux de mon cœur. La nièce de Satan s’est inscrite aux cours du soir ; elle travaille comme téléphoniste à la compagnie de chaussures qui emploie des enfants dans son usine souterraine. Savoir conjuguer le verbe falloir à la première personne du singulier n’est pas donné à tout le monde. En fait, il n’y a que les livreurs anthropophages employés par Über qui ont des doigts assez liquides pour imbiber suffisamment la grammaire et ainsi accomplir un tel exploit. La charrette des lépreux a des roues de roquefort et laisse des traces vertes sur le tapis floral de ma salle de bain.

J’ai reçu de la visite pour la première fois dans mon nouvel appartement. Elle s’appelle Désarroi et elle est caustique et tranchante comme une épine de métal sur le front du Christ postindustriel. Entre mon lit et la cuisine se trouve le crématoire ; il y flotte une odeur cauchemardesque de yogourt allégé à la banane. La porte fait un tel boucan en ouvrant qu’on croirait entendre sainte Thérèse d’Avila sodomiser depuis l’enfer les élus avec sa verge bardée de clous purulents. Je me console en me disant que le loyer est à peu près raisonnable.